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  • Décryptage

Supermarchés : ces champions du Greenwashing

Nina-Rose

07 septembre 2023

Les supermarchés * passent au vert ! Même si la transition est encore récente, les magasins travaillent leur assortiment afin d’en faire un enjeu stratégique pour attirer une nouvelle clientèle. Mais ces initiatives sont-elles un simple trompe-l'œil ou gage d’un vrai engagement de la part du distributeur ? Rien n'est très clair, comme d'habitude, mais on va vous expliquer quelques certitudes qui se cachent derrière ces actions et slogans bien pensés. Zé parti, zé parti, zé parti !

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Faux papiers, les produits locaux ?

Où que l’on soit en France, difficile désormais de manquer le rayon des produits bio et locaux lorsque l’on fait ses courses dans un supermarché. À peine les portes battantes franchies, notre regard est saisi par** les pancartes et logos verts**. Les fruits et légumes ouvrent les rangs, disposés dans** des cagettes en bois**. Sur le stand d’à côté, les fromages, emballés dans un papier blanc artisanal, arborent fièrement l'écusson de la région. Puis la viande, que l’on vient acheter à la coupe à un producteur du coin dont le portrait est affiché en grand à l’entrée du magasin. Le tableau séduit, mais interroge : pourquoi ce supermarché, habituellement si généreux en rabais et produits importés, a-t-il décidé de passer à un approvisionnement français ?

Le phénomène dure depuis plusieurs années, mais il s’est accéléré récemment : les grandes surfaces transforment leur offre pour offrir davantage de produits locaux. Leur but ? Séduire une nouvelle clientèle plus consciente et engagée, qui voit en ce renouveau la promesse d’assurer les emplois de proximité, la juste rémunération des producteurs, une empreinte carbone réduite et une offre de produits frais meilleure pour la santé. Mais ces initiatives sont-elles uniquement vertueuses et désintéressées de la part des géants de la distribution ? Eh bien, qu’à moitié !

Pour beaucoup de supermarchés, axer leur stratégie sur le développement d’une offre locale a avant tout pour objectif de faire du chiffre. Des magasins comme Auchan en ont fait leur moteur de croissance depuis quelques années. Celui qui s’autoproclame “acteur du sain, du bon et du local”, s’était donné pour ambition en 2019 de multiplier par deux son chiffre d’affaires grâce à cette stratégie de différenciation. 1 De même pour Monoprix qui, plus récemment, a annoncé le renforcement de son offre locale à travers un partenariat avec Rungis.2 Proposer une offre de fruits et légumes “en direct des producteurs locaux”, mais quelle belle initiative ! Nous, on s’en réjouit. Cependant, attention, car sous ces apparences trompeuses se cachent des pratiques pas toujours exemplaires ! 3 Il suffit de regarder la marge faite par la grande distribution pour comprendre que le local n’est pas toujours plus avantageux pour les producteurs. C’est ce que dénonce une étude réalisée par UFC Que Choisir en 2019 sur les marges démesurées faites par les chaînes d’hypermarchés sur le bio ; en moyenne, 75 % plus élevées qu’en conventionnel. 4

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Autre abus aussi de la part des distributeurs : le terme “local”, que les supermarchés emploient bien souvent sans préciser la provenance. S’agit-il de la France, de la région, du département ? Lorsqu’un produit est étiqueté “local”, il provient la plupart du temps d’un territoire qui se situe dans un rayon de 50 à 200 kilomètres de son point de vente. Mais cela ne vaut pas pour tous ! Car chaque distributeur a sa propre définition. Si Carrefour s’engage à s’approvisionner à moins de 100 kilomètres, Monoprix, pour sa part, est plus flexible. 5 En outre, la tentation d’apposer la mention locale à un produit est parfois si grande que certaines enseignes franchissent la ligne et trichent parfois sur la provenance des produits. En octobre 2014, une étude de la DGCCRF * avait relevé un nombre important d’erreurs de provenance sur les étiquettes des produits vendus en supermarché. 10 % des produits contrôlés s'étaient révélés non conformes à la réglementation européenne sur l’étiquetage et l’infraction la plus fréquente consistait à présenter comme locaux des produits issus d’autres pays d’Europe ! 6 Et la tomate d’Italie, elle vient comment ? Certainement pas à bicyclette !

Dans le monde de la grande distribution, il n’est donc pas rare de flirter avec le mensonge pour arriver à ses fins… L’allégation “local” n’étant pas contrôlée, elle peut vouloir tout et rien dire.

Le vrac pour une vraie politique zéro-déchet ?

C’est la seconde étoile montante des distributeurs : le zéro-déchet. Conscients de l’impact de leur production de déchets, de plus en plus d'enseignes s’inscrivent dans une démarche visant à réduire leurs emballages. Certaines ont pris l’initiative d’installer des distributeurs de vrac, d’autres des systèmes de recharge, et enfin, il y a ceux qui proposent des emballages plus éco-responsables. Il y a encore cinq ans, rien de tout ça n’existait ! Ce qui nous laisse dire qu’un réel changement est en train d’opérer. Mais cette révolution discrète se fait-elle aussi sur toute la chaîne de production ?

Des amandes, de la lessive, du café en grain… Le vrac a envahi les rayons des magasins. Les supermarchés ont progressivement installé des distributeurs de vrac dans leurs rayons. La transformation de l’offre s’est faite avec le soutien de grands groupes comme Nestlé, Lavazza et L’Oréal, dont les marques ont été les premières à offrir du vrac en grandes surfaces. Des systèmes de consigne et collecte des bouteilles et bocaux ont aussi été mis en place dans quelques enseignes. C'est le cas notamment d’Auchan, qui a implanté, en partenariat avec la société Roxane (Cristaline), des points de dépôt sur une dizaine parkings. 8 Les paillettes de plastiques issus de cette collecte serviront à produire des nouvelles bouteilles. D'autres enseignes travaillent également sur ces questions, telles que Carrefour ou Leclerc, qui mènent des expérimentations dans différentes régions. 9

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Entre la signalétique en magasin et les campagnes de communication, il n’y a plus de doute : les grands de la distribution sont au zéro-déchet ! Mais ces revendications se concrétisent-elles en actions ? Lorsque l’on sait le nombre d'emballages qui ont servi à protéger et transporter les produits depuis la production jusqu’à la mise en rayon, on peut se questionner : est-ce vraiment du zéro-déchet ? Pour proposer des céréales en vrac dans un magasin, c’est en réalité toute la chaîne de distribution qui est en jeu. En effet, la réflexion doit être menée sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement pour limiter les emballages. 10 Malheureusement, ce qu’il se passe en amont ne semble pas être la priorité des distributeurs… Dans les derniers rapports RSE de E.Leclerc, Carrefour et Monoprix, aucune mention n’est faite à la réduction de déchets dans la chaîne de production. Sur le floor, on s’active mais dans les coulisses, un peu moins !

Enfin, une autre initiative qui a largement été communiquée par la grande distribution, mais qui n’en est pas moins trompeuse, est** l’arrivée des sacs biosourcés** en magasin. Suite à la loi du 1ᵉʳ juillet 2016 qui interdisait le plastique unique, les enseignes ont été contraintes d’adopter les sacs en plastique compostables. Depuis ce jour, seuls les sacs compostables domestiquement et biosourcés sont autorisés dans les rayons. Pourtant, même si le texte de loi le précise, aucune explication n’est donnée en magasin sur les conditions de compost de ces sacs. En novembre 2022, l’ANSES sonne le signal d’alarme : plus d’un Français sur trois jette ses emballages dans leur compost, alors même que la dégradation totale des sacs n’est pas garantie par les composteurs ! 11 Aussi faut-il, selon l’agence, interdire aux fabricants d’utiliser toute incitation à mettre des sacs plastiques dans un compost domestique et sensibiliser les consommateurs sur le danger de ces matières.

De fait, nous sommes bien loin de notre idéal zéro-déchet ! Les solutions offertes par la grande distribution induisent en erreur plus qu’elles n’offrent de véritable alternative. Au-delà, c’est tout le système encadrant le compostage, le recyclage et la réutilisation des déchets qui doit être repensé pour permettre la transition vers une économie circulaire.

Les labels, une promesse fallacieuse

Chaque année, de nouveaux labels et certifications font leur apparition dans la grande distribution. Ces mentions ont été créées pour aider les consommateurs à distinguer les produits par leur mode de production et provenance. Mais si** leur rôle premier est d’informer**, il est bien souvent détourné par le secteur agroalimentaire pour en devenir un argument de vente à part entière.

Un label qui a fait beaucoup parler de lui récemment est le label Haute Valeur Environnementale. Créé à la suite du premier Grenelle de l'environnement en 2007, le label HVE est adopté par les supermarchés avec une bonne intention au départ : récompenser les agriculteurs qui mettent en place des pratiques vertueuses. Sous l’impulsion des industriels, il fleurit bientôt sur les produits emballés et les bouteilles de vin. Mais très vite, les partisans de l’agriculture intensive, dont la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitation Agricole, ont vidé le label HVE de sa substance, en le rendant très facile à obtenir. 12 Le label perd peu à peu de son sens, et pourtant ne disparaît pas des magasins ; il rend bien sur les packagings ! En voyant le label peu à peu s’affaiblir, l’Office Français de la Biodiversité et l’IDDRI * se sont réunis en 2022 pour réaliser une étude permettant d’évaluer les indicateurs de performance environnementale du label. Les résultats sont probants ; les dizaines de conversions du label constatées depuis 2012 lui ont fait perdre tout son sens. À ce jour, le label HVE n’est pas plus exigeant que la moyenne des pratiques agricoles françaises. 13 Plusieurs associations de défense des consommateurs, de l’environnement et de la santé, d’agriculteurs et d’entreprises biologiques ont récemment demandé la suppression de ce label qu’elles accusent responsables de “greenwashing”. 14

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Dans la famille des labels trompeurs, nous pouvons également nommer les labels “sans pesticides” ! Moins restrictifs et plus simples à obtenir pour les marques, ces nouveaux labels ont aussi l’avantage de rassurer les consommateurs dans leur choix tout en étant moins chers que le bio. D’après 60 Millions de Consommateurs, ils permettraient de “contribuer à diminuer le consentement des consommateurs à payer plus pour manger sain”, et auraient donc le pouvoir de détourner la clientèle des produits bio pour la faire acheter du conventionnel sans pesticides. 15 Sauf que ses bénéfices restent à démontrer ! Les résultats d’analyses réalisées en 2018 par la DGCCRF révèlent que sur les 94 produits contrôlés portant ce type d’allégations, plus du tiers présentaient en réalité des résidus de pesticides, et ce, en quantité significative…

C’est un fait désormais avéré : les labels en supermarché ne sont pas tous gages de confiance. Faciles à obtenir, ils sont souvent utilisés à tort par des marques qui ne méritent pas de mettre en valeur la performance environnementale de leurs produits. Ils installent une confusion dans l’esprit des consommateurs, qui ne savent plus reconnaître le vrai du faux. De plus, ils créent une concurrence déloyale et injustifiée avec les produits certifiés et desservent les producteurs véritablement engagés qui ne reçoivent pas plus de reconnaissance malgré les sacrifices et difficultés éprouvées à produire de manière durable et raisonnée. Pour éviter cela, les supermarchés ont un rôle essentiel à jouer. Ils doivent veiller au maintien et au rétablissement de la vérité et devraient être en mesure de refuser la vente de produits portant ces labels.

Développement d’une offre locale, politique de réduction des emballages, installation de distributeurs de vrac, certifications et labels ; les efforts des supermarchés pour passer à un modèle plus responsable sont réels. Mais si des initiatives sont prises, elles restent éparses, et manquent souvent de transparence. Pour atteindre leurs objectifs économiques, les magasins déploient tout un art de la séduction qui se veut parfois dangereux. En brouillant les lignes entre la vérité et le mensonge,** le magasin participe à la désinformation des consommateurs** et fait de l’ombre aux producteurs véritablement engagés. Les supermarchés, tels qu’on les connaît aujourd’hui, seront-ils donc à jamais un obstacle à une alimentation durable ? Dans un article du Monde, publié le 02 février 2023, Benoit Granier, responsable alimentation au Réseau Action Climat, rappelle le rôle déterminant des supermarchés dans la définition de l’offre alimentaire. Il affirme : “la grande distribution est un maillon essentiel (...) elle a une forte influence dans les choix de consommation ; et la possibilité pour les agriculteurs et les industriels de changer leurs pratiques dépend aussi des relations contractuelles avec la grande distribution.” 16

Et vous, qu’en pensez-vous ? La grande distribution a-t-elle un rôle essentiel à jouer dans la transition agricole et alimentaire ? Comment imaginez-vous le supermarché de demain ? Nous, on a une petite idée… ;)

Pour aller plus loin

  • Le site de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture
  • Le site du Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire
  • Le site de l’Office Français de la Biodiversité
  • Notre article Comment éviter les pièges du greenwashing alimentaire ?

Définitions

  • Un supermarché est un magasin à grande surface (de 400 à 2 500 m2) proposant en libre service la vente de produits alimentaires et d'articles d'usage courant. Il est à différencier des enseignes de distribution françaises spécialisées dans le biologique comme le sont La Récolte, Bio C Bon, Les Nouveaux Robinsons et Naturalia.

  • DCCRF : Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes

  • IDDRI : Institut du Développement Durable et des Relations Internationales

Sources et références

  • 1 https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/auchan-croit-a-la-relance-par-loffre-1128323

  • 2 https://www.lsa-conso.fr/monoprix-et-rungis-conclut-un-partenariat-pour-l-approvisionnement-de-produits-frais-et-locaux,350224

  • 3 https://www.lsa-conso.fr/comment-valoriser-les-produits-locaux-en-magasins,129136

  • 4 https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-sur-marges-sur-les-fruits-et-legumes-bio-la-grande-distribution-matraque-toujours-les-consommateurs-n69471/

  • 5 https://www.lsa-conso.fr/proximite-le-local-nouvel-axe-fort-des-distributeurs,326931

  • 6 https://www.quechoisir.org/actualite-fruits-et-legumes-trop-de-produits-francises-n9155/

  • 7 https://www.economie.gouv.fr/cedef/interdiction-plastique-usage-unique#:~:text=2016%2D2020%20%3A%20les%20premiers%20plastiques,vente%2C%20sauf%20sacs%20compostables%20biosourc%C3%A9s.

  • 8 https://www.lsa-conso.fr/cristaline-deploie-ses-machines-a-recycler-les-bouteilles-pet-dans-120-auchan,280611

  • 9 https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/leclerc-se-pose-en-militant-de-la-consigne-des-bouteilles-en-plastique-1039478

  • 10 https://www.challenges.fr/green-economie/vrac-ou-en-sont-les-enseignes-de-la-grande-distribution_782698

  • 11 https://www.anses.fr/fr/proscrire-matieres-plastiques-biodegradables-compost

  • 12 https://reporterre.net/Trompeur-le-label-HVE-attaque-par-l-agriculture-bio

  • 13 https://professionnels.ofb.fr/fr/doc/evaluation-performances-environnementales-certification-haute-valeur-environnementale-hve-dans

  • 14 https://www.linfodurable.fr/environnement/agriculture-le-label-hve-devant-le-conseil-detat-pour-tromperie-36493

  • 15 https://www.60millions-mag.com/2023/04/17/labels-sans-pesticides-difficile-de-faire-le-tri-21208

  • 16 https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/02/02/marges-presentation-en-rayon-manque-de-transparence-comment-les-supermarches-pesent-lourdement-sur-notre-empreinte-climatique_6160186_3244.html

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